Synode des évêques d’Europe: « Promouvoir la solidarité avec le peuple juif »

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Cardinal E. I. Cassidy

Città del Vaticano       28/11/1991

Très Saint-Père, vénérables Pères, chers frères et soeurs dans le Christ:
Le Concile Vatican II a enseigné que le mystère de l'Église — et nous nous occupons de sa nature et de sa mission, pour parvenir à un renouveau spirituel de l'Europe grâce à une nouvelle évangélisation — a un lien intrinsèque avec la « race d'Abraham », c'est-à-dire le peuple juif, puisque ce peuple reste toujours « selon l'Election, chéri de Dieu à cause de ses pères » (cf. Am 11, 28-29. Cf. Lumen gentium, 16). Aussi le Concile a-t-il exhorté les fidèles en ces termes: « Du fait d'un si grand patrimoine spirituel, commun aux chrétiens et aux juifs, le Concile veut encourager et recommander entre eux la connaissance et l'estime mutuelles, qui naîtront surtout d'études bibliques et théologiques, ainsi que d'un dialogue fraternel » (Nostra Aetate, 4).

Par conséquent, quels dons spirituels notre Synode pourra-t-il offrir aux juifs, « nos frères aînés dans la foi d'Abraham », comme le Pape Jean-Paul II les a appelés, et quels dons pourrons-nous recevoir d'eux?

Je vais traiter ce sujet en trois points: la mémoire, l'espérance, et l'action.

1. La mémoire

La méditation sur l'histoire, à la lumière du Christ, nous fait reconnaître que les juifs ont contribué de bien des manières à la culture et à la spiritualité européennes, avant et après l'avènement du Sauveur. Avant, par la diffusion de la Diaspora dans l'Empire, favorisant la connaissance des Saintes Écritures hébraïques par l'intermédiaire de la traduction gréco-alexandrine de la Bible dite des Septante; et après, par les études exégétiques, talmudiques, celles de la Kabbale, par la tradition spirituelle du Hassidisme, la culture qui s'est épanouie dans l'Espagne du Moyen-Age, comme à Rome et en Europe centra-orientale. Grand fut leur génie créatif, artistique et scientifique. Mais, malheureusement, notre mémoire doit aussi s'étendre à des aspects négatifs qui ont marqué notre convivance: polémiques et animosité réciproques, discriminations que nous déplorons très vivement, parmi lesquelles le « signe » distinctif imposé aux juifs, l'expulsion de l'Espagne, voici 500 ans, avec les musulmans, le confinement dans les ghettos, et les pogroms. L'Église, il est vrai, a condamné sévèrement et à maintes reprises l'antisémitisme moderne qui se répandait en Europe au cours de ce siècle. Mais nous n'étions pas préparés et nous n'avons pas réussi à nous opposer de manière efficace aux excès sataniques du mal qui, alors que s'affirmait en Europe le pouvoir totalitaire d'une idéologie païenne, inspirèrent aucours de la Deuxième Guerre mondiale le génocide juif, la Shoah. Aussi, comme vous le savez, l'Église est-elle engagée dans la réflexion, avec les juifs, sur la Shoah et l'antisémitisme, et elle attribue une grande signification au Centre de prière et de dialogue d'Auschwitz, pour lequel on souhaite la contribution des épiscopats européens. Dans sa Déclaration finale, notre Assemblée ne pourrait-elle pas apporter un soutien explicite à cette initiative? Voici quelques jours, j'ai rendu hommage, à Birkenau et à Auschwitz, à la mémoire des millions de victimes et de martyrs de cette horrible extermination. Après cette visite, je suis encore plus convaincu qu'il est nécessaire d'unir nos efforts de chrétiens et de juifs pour éduquer les jeunes générations à un avenir de solidarité et d'amour, de pardon et de réconciliation, à partir d'une mémoire nourrie de vérité, de foi, d'espérance. Il est de notre devoir de chercher, à tous les niveaux et dans les divers domaines, les instruments pour collaborer à forger la conscience morale de l'Europe nouvelle. L'écoute continuelle, attentive, humble, de la Parole de Dieu dans nos communautés devra être la base de toute initiative, dans un esprit de conversion (teshuva).

2. L'espérance

Nous restons, comme le prophétise Zacharie, des « prisonniers de l'espérance » (Asirê ha-Tiqva, Za 9, 12). Comme, en 1945, nous avons vu l'écroulement de la tyrannie en Europe de l'Ouest, cela vient de se passer en bien d'autres pays. La foi en Dieu, Seigneur de l'histoire, nous confirme dans l'espérance pour l'avenir, dans l'attente de la Pâque éternelle, dans le Royaume. Le peuple juif nous donne le témoignage de cette même espérance, lui qui a passé par l'expérience douloureuse du martyre, dans la nuit obscure de la Shoah. Échangeons donc réciproquement les dons spirituels de l'espérance, cette Tiqva biblique, malgré toutes les difficultés qui se dressent devant nous.

3. L'action

Quelle action commune pourrions-nous entreprendre qui ne soit pas sous le signe de la solidarité? Ce terme semble aujourd'hui tout à fait adapté pour exprimer de manière moderne les concepts bibliques de fraternité, de miséricorde, d'amour. A Czestochowa, à côté du sanctuaire marial, une main juive a écrit le verset: « We ahavta le-re' akha kamokha » (Lv 19, 18): « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Vraiment, par cette main, la Vierge « Fille de Sion » (Is 62, 11) semble tressaillir de joie en nous indiquant la route de l'avenir d'une Europe pleinement réconciliée: réconciliée avec ses souvenirs, bons ou douloureux, réconciliée avec son présent, riche d'identités diverses mais complémentaires, multiples mais ouvertes à une harmonieuse syntonie, laquelle demande respect, recherche difficile de chemins de coopération, attentes patientes, pardon, ténacité et prévoyance.

Permettez-moi alors de conclure en indiquant quelques domaines possibles de coopération qui s'ouvrent aux juifs et aux chrétiens, en réponse aux grands et urgents besoins qui se sont révélés en Europe et, par conséquent, dans le monde entier, ces dernières années. Évidemment, les orientations que je propose ici ont comme présupposé nécessaire la confiance fraternelle mutuelle et le dialogue dans la vérité et la charité, ainsi que l'institution de structures opportunes de liaison entre les communautés de foi respectives, cela aux divers niveaux.

a) Dans le plein respect de l'autonomie et des valeurs positives des diverses cultures présentes en Europe, et des principes de la liberté religieuse dans la situation actuelle de pluralisme, nous pouvons promouvoir ensemble la réflexion et le témoignage de vies qui s'inspirent des principes religieux et éthiques tirés de la Révélation biblique.

b) Plus concrètement, nous pouvons collaborer en certains domaines d'engagement social (cf. Sollicitudo rei socialis, 47; Centesimus annus, 60), pour la justice, la paix et la sauvegarde de la création, éventuellement en impliquant aussi les fidèles de l'islam et d'autres religions. Sur cet horizon s'inscrit aussi l'engagement contre le racisme, les discriminations civiles, l'antisémitisme en tant que « péché contre Dieu et contre l'humanité » (Jean-Paul II).

c) A partir de ces prémisses, on peut facilement entrevoir bien d'autres possibilités de coopération: pensons seulement aux domaines de l'éducation religieuse, des médias, de l'assistance apportée des personnes ou des groupes qui sont dans le besoin. Considérant le lien particulier des juifs avec la terre d'Israël, on pourrait mettre ce fait en rapport avec la responsabilité particulière et la vocation historico-géographique de l'Europe à l'égard de la zone méditerranéenne et, par l'intermédiaire de l'Afrique du Nord, à l'égard du Sud du monde. L'aspiration à faire de la Méditerranée une « mer de paix », selon l'image prophétique, autour de la « sainte montagne » de Jérusalem (Is 11, 9), pourra ainsi nous unir dans un service vraiment oecuménique et universel.

Comme initiative concrète commune, je propose d'étendre à toute l'Europe la journée de réflexion, de prière et de dialogue sur le thème du judaïsme qui, depuis quelques années déjà, a lieu en Italie selon une disposition de la Conférence épiscopale, et qui a donné jusqu'à présent des résultats positifs. (Texte de la DC du 5.1.1992).

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Inserito 01/01/1970