La prière du vendredi saint pour les Juifs... controverse et diversion !

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Arbez, Alain René

Svizzera       12/02/2008

Avant même le Concile Vatican II qui allait redéfinir en 1965 la théologie catholique des relations avec le peuple juif, le pape Jean XXIII supprimait de la prière du vendredi saint - dès 1959 - l’affreuse expression « prions pour les juifs perfides », reflet de longs siècles d’antijudaïsme chrétien ayant contribué, entre autres dérives meurtrières, à la shoah. (Le mot latin per-fides n’avait pas à l’origine cette signification ignominieuse, mais évoquait ceux qui n’ont pas abouti à la foi chrétienne).
Voici qu’aujourd’hui la polémique revient dans les médias, non sans une certaine confusion disproportionnée.
Alors que le Vatican publie une version corrigée de l’ancienne prière tridentine du vendredi saint qui usait de qualificatifs traditionnellement désobligeants pour les juifs, la majorité des lecteurs plus ou moins avertis risque de penser que le Pape Benoît XVI vient d’édicter une nouvelle oraison destinée à l’ensemble du public catholique célébrant la semaine sainte.
Or, il s’agit de l’antique rituel latin et de lui seul, et cela ne concernera en aucun cas le 99,9% des pratiquants qui entendront proclamer, partout dans le monde, la seule belle prière suivante : « Prions pour le peuple juif, le premier à avoir entendu la Parole de Dieu, pour qu’il puisse continuer à croître dans l’amour de son Nom et la croyance en son Alliance »...
En d’autres termes, l’initiative du dicastère pontifical pour la liturgie n’a pas eu pour but d’introduire une problématique rétrograde qui modifierait quoi que ce soit dans l’acquis des relations entre catholiques et juifs, mais a pour modeste mission d’effacer des qualificatifs inopportuns de l’ancien missel latin. On ne devrait donc pas mettre sur le même plan une publication liturgique, surtout d’effet aussi limité, et une ligne théologique d’ordre général et de portée irréversible.
Il était d’ailleurs impensable de recomposer totalement ces anciennes oraisons qui portent la trace de l’histoire des premiers siècles, des courants patristiques, des chrétientés occidentales naissantes, avec leurs ambiguïtés de l’époque. Dans la tradition juive, le parallèle existe avec la 19ème prière du Shemone Esre qui use de qualificatifs encore plus agressifs, (mais très situés dans leur contexte) envers les adversaires de la foi juive.
Quoi qu’il en soit, le débat revient sur le devant de la scène, puisque, même limité à cette oraison du missel latin, l’enjeu tourne surtout autour de la prière demandant explicitement la conversion des juifs. Précisons qu’il n’y a aujourd’hui aucun autre cas de figure qui se manifeste sous cette forme dans la liturgie catholique, même si des insuffisances demeurent et devraient encore pouvoir être modifiées.
Les rabbins italiens qui ont réagi fortement à ce point précis - en le généralisant excessivement - ont des arguments valables à défendre, et il est normal que leur voix se fasse entendre. Mais d’un autre côté, il faut aussi faire l’effort d’entrer dans une réflexion sereine qui aborde de face la divergence fondamentale entre foi juive et foi chrétienne. Selon la formule bien connue de Ben Chorin, « si la foi de Jésus nous unit, la foi en Jésus nous sépare ».
Comme le rappelait le cardinal Kasper, témoin engagé des relations judéo-catholiques, il faut comprendre que l’oraison incriminée est une sorte de paraphrase de l’épître aux Romains dans laquelle Paul annonce qu’à la fin des temps tout Israël sera sauvé. C’est une vision eschatologique, purement métaphysique et non pas sociologique, par conséquent il ne s’agit nullement ici de dire que les juifs devront entrer dans l’institution Eglise, au sens des conversions sous contrainte d’autrefois, mais plutôt d’esquisser cette nouvelle ère à venir, où le règne de Dieu réconciliera tous les fils de l’alliance.
L’Eglise en tant que servante de cet avènement est d’ailleurs appelée à s’effacer - aussi sainte soit-elle - et à laisser place à la mystérieuse réalité du Règne de Dieu qui la dépassera et l’absorbera avec beaucoup d’autres dans la gloire de Dieu, parmi lesquels les fils d’Israël, et sans doute encore d’autres justes ne faisant pas partie visiblement du sérail biblique.
Les rabbins de Rome ont réagi à la prière du rituel latin parlant des juifs appelés à reconnaître la vérité émanant du Christ : ils y ont retrouvé le registre préconciliaire aux relents de déicide et de substitution. Or les déclarations du Magistère avec Nostra Aetate ont aboli définitivement en 1965 ces concepts mortifères en les remplaçant par la fraternité judéo-catholique dans le Dieu de l’Alliance et le patrimoine biblique commun. Jean-Paul II a consacré de nombreuses énergies de son pontificat à enraciner dans la vie de l’Eglise cette vérité originelle retrouvée.
On touche ici à la délicate notion de « peuple de Dieu ». Les théologiens catholiques discutent sur ce concept, et beaucoup pensent que l’Eglise n’est pas à elle seule peuple de Dieu, cette communauté de croyants, le Qehal constituant d’abord la réalité d’Israël, que l’un de ses fils, Jésus, a élargie au cercle pluriel de ses disciples.
Je cite de nouveau le Cardinal Kasper à Boston, en 2002, peu après la déclaration « Alliance et mission » : « Les juifs n’ont pas à devenir chrétiens pour être sauvés. S’ils suivent leur propre conscience et croient dans les promesses de Dieu comme ils les comprennent dans leur tradition, ils sont dans la ligne du projet de Dieu qui, pour nous chrétiens, atteint son achèvement en Jésus ».
Il est de fait que Jésus a permis aux croyants de la deuxième génération, essentiellement païens, de découvrir le visage du Dieu d’Israël, son amour et sa compassion, il a illustré les commandements en offrant sa vie. Ses premiers disciples, tous juifs, avaient vu en lui une Torah incarnée. Il serait donc paradoxal que les chrétiens issus du monde païen aillent maintenant apprendre aux juifs qui est le Dieu d’Israël en leur apportant Jésus.
Cela dit, il est logique que l’Eglise catholique exprime dans ses textes théologiques ou liturgiques sa foi en Jésus Fils de Dieu, et il est légitime qu’elle annonce ouvertement ce qu’elle croit, c’est-à-dire que Jésus offre le salut de Dieu à tous les hommes quels qu’ils soient. Il n’y a là en soi aucune atteinte à qui que ce soit, pour autant que la liberté de tous soit respectée et que les termes utilisés soient adéquats, dans une société où les médias jouent souvent sur les créneaux sensibles pour entretenir des focalisations rentables.
En conclusion, ne dramatisons pas cette controverse purement conjoncturelle en lui conférant une dimension structurelle qu’elle ne mérite pas. Sans perdre de vue les acquis du chemin accompli depuis quarante ans, ne sous-estimons pas non plus l’important travail d’explicitation mutuelle et de compréhension réciproque qui reste à poursuivre dans nos communautés respectives. Si nous sommes à juste titre demandeurs de fraternité, encore faut-il ressourcer et entretenir la confiance en allant constamment à la rencontre et à l’écoute les uns des autres, en développant simultanément la conscience de nos valeurs communes et le respect bienveillant de nos traditions.

Archiprêtre Alain René Arbez, relations avec le judaïsme,
Genève (Suisse)

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Inserito 01/01/1970